Jean Puy, un peintre fauve

"La couleur, si engageante,
captivante, ensorceleuse, enjôleuse, ravissante,
il semble qu'on ne pourra jamais s'en rassasier..."
Jean Puy

Né en 1876 à Roanne (Loire) dans une famille d’industriels, Jean Puy entre à 19 ans à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon. Il apprend le dessin et la peinture dans l’atelier de Tony Tollet. En 1898, il s’installe à Paris. Après une première expérience décevante à l’Académie Jullian, il s’inscrit à l’Académie Camillo, où il travaille dans l’atelier qu’anime Eugène Carrière.

Autour de Matisse, les ‘’Fauves’’

Jean Puy y fait la connaissance de Derain, Marquet et Matisse, avec qui il se lie d’amitié. Entre 1899 et 1905, le groupe travaille –parfois sur des sujets communs– dans les ateliers de Manguin, Puy ou Jean Biette. Avec eux (et Charles Camoin, rencontré en 1903), Jean Puy commence à exposer au salon des Artistes indépendants (à partir de 1900), à la galerie Berthe Weill et au salon d’Automne (à partir de 1904).

Dans la même période, sur le conseil de Matisse, il découvrela Bretagne, qui prendra une place de premier plan dans son œuvre. C’est là qu’il apprend à naviguer, avec Signac, et acquiert son premier voilier.

Au salon d’Automne de 1905, le groupe des jeunes peintres réunis autour de Matisse – «l’élément entraînant qui réunissait les élans», selon la formule de Jean Puy – accède soudain à la notoriété, avec des toiles où l’usage de la couleur, du trait et la simplification de la forme font scandale.

Le critique Louis Vauxcelles les baptise ‘’les Fauves’’. Trente ans plus tard, il écrira : «Les historiens de l’art contemporain (…) ne sont pas d’accord quant au nom des vrais Fauves. Ceux-là seuls sur lesquels aucune hésitation n’est possible sont les noms de Vlaminck, Derain, Matisse, Marquet, Puy, Manguin, Friesz, Dufy, Camoin.»

L’Illustration officialise l’événement en reproduisant plusieurs des tableaux exposés, dont Flânerie sous les pins de Jean Puy, accompagné de ce commentaire de Vauxcelles : «M. Puy, de qui un nu au bord de la mer évoque le large schématisme de Cézanne, est représenté par des scènes de plein air, où les volumes des choses et des êtres sont robustement établis.»

«L’épithète ‘’Fauve’’, dira un demi-siècle plus tard Matisse dans Ecrits et propos sur l’art, ne fut jamais acceptée par les peintres fauves (…). C’est Vauxcelles qui inventa le nom. Nous exposions au salon d’Automne. Derain, Manguin, Marquet, Puy et quelques autres étaient accrochés ensemble dans une des grandes galeries (…). Tout un groupe travaillait dans cet esprit (…). Plus tard, chacun renia, selon sa personnalité, la partie du Fauvisme qu’il trouvait excessive, en sorte de suivre son propre chemin.»

Les années Vollard.

Après le salon, le marchand Ambroise Vollard –le premier à avoir cru en Gauguin, Cézanne et Picasso– passe avec Jean Puy un contrat verbal. Dès 1905, il lui achète son atelier à des prix d’ailleurs bien supérieurs à ceux qu’obtiennent alors Derain, Vlaminck, Van Dongen ou Picasso – puis, au fil des années, une grande partie de sa production. Et ce, jusqu’en 1926, date à laquelle Jean Puy reprend sa liberté, «sans cesser les rapports courtois». Comme Renoir avant lui et Picasso un peu plus tard, Jean Puy fait un portrait du marchand.

C’est Vollard qui l’incite –comme il le fait avec Matisse, Derain, Vlaminck et Rouault– à s’initier à la céramique avec André Metthey. Il lui demandera ensuite d’illustrer des livres qu’il écrit ou publie (Le Père Ubu à la guerre, Le Pot de fleurs de la mère Ubu, Le Déjeuner de l’évêque, Candide).

A trente ans, déjà un maître

À partir de 1908, Jean Puy alterne expositions personnelles (galerie Vollard, galerie Eugène Blot, galerie Bernheim-Jeune) et de groupe dans le monde entier (Vienne, Berlin, Budapest en 1907, Moscou en 1908, Prague, Budapest, Londres et Düsseldorf en 1910, New York, Chicago, Rome, Boston et Gand en 1913…).

Il est salué comme un maître. Des écrivains comme Apollinaire, Carco ou Klingsor, des critiques comme Arsène Alexandre, Coquiot, Morice, Mermillon suivent et admirent son travail.
De l’épreuve de la guerre de 1914-1918 – bien que réformé, il s’est engagé –, il sortira meurtri : «J’ai eu soif de combattre pourla Patrie, écrit-il, et j’en suis rassasié. (…) Si l’on m’avait parlé de quatre ans de travaux forcés, j’en aurais été sidéré. (…) L’imbécillité ignominieuse de la discipline militaire en général dépasse tout ce que l’on peut rêver.»

«Il ne s’arrête pas à l’extériorité de l’objet ou du modèle, il en pénètre l’émotion intime.»

Dans l’entre-deux-guerres, il vit et travaille à Paris, mais aussi en Bretagne – où il séjourne désormais  chaque été –, dans le Midi et le pays roannais, où réside sa famille. Après avoir rompu avec Vollard, il passe contrat avec les galeries Bernheim et Dru. Il expose aussi chez Druet, Eugène Blot, Berthe Weill, Charpentier, au salon d’Automne, au Grand Palais "Trente ans d’art indépendant", au Musée des Arts décoratifs, au Petit-Palais "Les Maîtres de l’art indépendant", mais aussi à Venise "Exposition internationale des Beaux-Arts", Stockholm, Bristol "French Modern Exhibition", Prague…

Son frère, le poète et critique d’art Michel Puy – qui a publié en 1907 dans La Phalangela première étude sur les Fauves – lui consacre en 1920 une monographie (aux éditions de la NRF), où il écrit : "On le croirait gai et il est très tourmenté (…). Ses sujets, quand ils semblent simplement empruntés au réel, rentrent dans une composition longuement méditée. Il ne s’arrête pas à l’extériorité de l’objet ou du modèle, il en pénètre l’émotion intime.[1]"

L’atelier roannais

La déclaration de guerre en 1939 conduit Jean Puy – alors âgé de 63 ans – à accepter l’invitation de sa sœur Madeleine Vindrier à séjourner à Roanne, où il demeurera jusqu’à sa mort, travaillant une partie de l’année dans son atelier (qui devient un thème important de son œuvre), l’autre le plus souvent en Bretagne.

Il continue à se rendre régulièrement à Paris pour visiter ses amis, avec qui il échange une correspondance abondante. Il expose chez Charpentier, Le Garrec Cordier, à la galerie de France, et au salon d’Automne. Ses toiles sont présentées à New York, Alger, Minneapolis, San Francisco, Dallas, Berlin, Toronto, New Delhi, Turin et Londres enfin (avec Marquet), l’année avant sa mort.
Le 6 mars 1960, il décède à Roanne, trois mois après son frère Michel Puy. « Il est arrivé une fâcheuse mésaventure à Jean Puy, écrit au lendemain de sa mort Jean-Paul Crespelle. Apprécié par les plus grands peintres, par les meilleurs critiques, bénéficiant d’un contrat avec Vollard, ce sourcier de l’art moderne, son œuvre a disparu. Elle est devenu une valeur clandestine.»

Le catalogue raisonné de l’œuvre peint

Près d’un demi-siècle plus tard, l’œuvre de Jean Puy commence à sortir de cette clandestinité.
Des expositions, comme celle du musée de Lodève et du Palazzo Bricherasio de Turin "Les Fauves et la critique" en 1999, de Barcelone en 2000 "Les Années Fauves", du musée Joseph Déchelette à Roanne "Jean Puy, l’après-midi d’un Fauve" en 2000, puis la rétrospective Jean Puy organisée en 2004-2005 au musée Marmottan-Monet à Paris - premier événement marquant la célébration du centenaire du Salon de 1905 où naquit le Fauvisme -, les expositions "Jean Puy, une amitié artistique (1900-1930) : Matisse, Marquet, Manguin, Camoin" au musée Paul Dini de Villefranche-sur-Saône en 2007 et "Jean Puy et la Méditerranée" 2009 et 2010 (musée de l’Annonciade à Saint-Tropez et musée Joseph Déchelette à Roanne) ont contribué à rendre à Jean Puy sa place parmi ses pairs.

Parallèlement, le travail initié il y a un près d’un demi-siècle par Suzanne Limouzi[2] et Louis Fressonnet-Puy, a conduit à la publication, en 2000 et 2001, d’une forte monographie et du premier tome du catalogue raisonné (l’œuvre peint)[3]. Le deuxième tome (dessins, pastels, fusains, céramiques et illustrations) et un supplément au tome 1 (qui recense déjà près de 200 toiles redécouvertes) sont en préparation et devraient être publiés en 2014[4].

 

 


 

[1] La monographie de Michel Puy a été rééditée en 2005 - Fonds Jean et Michel Puy / Thoba’s Editions.
[2] Nièce et filleule de Jean Puy, décédée en 2007.
[3] Les Amis de Jean Puy / Thoba’s Editions.
[4] Pour toute information : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
[5] Michel Puy's monography of Jean Puy was re-published in 2005 by Thoba's Editions and the Fonds Jean and Michel Puy.
[6] Les Amis de Jean Puy / Thoba's Editions.